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Avis sur : Dernier amour avant liquidation de Pierre Ahnne

Dernier amour avant liquidation de Pierre Ahnne.jpg Cinquième roman de Pierre Ahnne, écrivain dont on ignorait à peu près tout jusqu'ici, Dernier amour avant liquidation est une bonne surprise, qui a le mérite de ne pas se laisser piéger par les travers habituels du roman psychologique à la française. L'histoire tient en une phrase, avec laquelle l'auteur s'amuse tout au long du roman : « un homme décide de se suicider. Il part sur les côtes normandes pour se jeter dans la mer. »

La balade de la mer sucrée

A partir de cette ligne assez mince, Ahnne traîne son personnage désabusé avec une belle élégance mélancolique de bord de mer, un air (marin) de lassitude existentielle et une énergie qui, bien que tout à fait improbable, permet au roman de tenir la distance. Là où d'autres (on n'ose imaginer ce qu'une Anna Gavalda ou un Marc Lévy auraient pu broder sur le même thème) en auraient fait des tonnes et sombré tête la première dans le pathos, Ahnne est suffisamment malin pour ne pas ancrer son narrateur dans une vie bien définie : on ne saura pas ce qui l'a amené vers l'idée de mettre fin à ses jours, on ne saura pas qui il est, ce qu'il fait, ce qui pourrait vraiment le faire changer d'avis.

L'homme loue une chambre d'hôtel et promène sa carcasse condamnée dans le décor propice d'une station balnéaire, histoire de mettre quelques jours d'errance et de petit confort entre sa mort et lui. Ce qui peut paraître comme une bonne idée (se laisser glisser lentement vers la mort plutôt que de se suicider à la va vite) va s'avérer une stratégie risquée. La vie est comme la chienlit : elle s'infiltre partout. L'homme, tandis qu'il avale un plateau de fruits de mer, fait la connaissance d'une femme (rousse, donc) qui pourrait bien avoir les mêmes intentions que lui. Ils causent, ils baisent dans la belle maison de vacances de celle-ci et voilà que la vie repart malgré elle, mais rendue cette fois au hasard et à la déraison.

 

Coquillage on est mal

Les personnages d'Ahnne sonnent comme des coquillages de bord de plage. Leur chair est translucide et maigre mais ils dégagent une petite musique humaine lorsqu'on les place contre l'oreille. L'homme et la femme se cramponnent l'un à l'autre. Elle ne va pas bien, est mariée, a une fille adolescente. On apprend qu'elle est professeur et qu'elle est régulièrement « mise en congés » par sa hiérarchie, ce qui est assez inquiétant. Ils font des aller-retour entre la maison et l'hôtel, le restaurant et le front de mer. Le narrateur se pose quelques questions qui ne sont pas ce qu'il y a de plus réussi dans le livre, puisque rien ne peut être vrai ici (encore moins quand le mari débarque). L'analyse psychologique ne fonctionne pas : c'est à la fois la faiblesse et la force du livre. Les personnages sont toc et produisent ainsi de l'étrange, une sorte de comique de situation permanent et un effet absurde qui ne sont pas sans rappeler (la langue en moins) les premiers romans de Régis Jauffret Histoire d'Amour, Clémence Picot,...). Ahnne fonce alors vers une fin presque épique à l'échelle de ce roman vignette tout à fait convaincante. L'auteur s'emmêle techniquement dans les déplacements et le passage des jours (le plan séquence ne rend pas justice à ce qui se passe) mais réussit quelques belles scènes de drame sentimental : un gigot d'agneau saignant qui vole à travers la pièce, une noyade bidon bien embarquée, le Grand Amour, un gynécologue mari complaisant,....

Au final, ce Dernier amour avant liquidation laisse la belle impression de glisser sur nous avec beaucoup de délicatesse et de précision, déposant une trace cafardeuse, sentimentale et fantaisiste qui ne s'effacera pas si facilement. En refusant de suivre et de clôturer les pistes romanesques qu'il a ouvertes, Ahnne réussit son pari de décrire une dérive et une vie d'homme comme si elles avaient un sens. Le roman laisse sur sa fin et pas sur sa faim. C'est tout à son honneur d'oser nous laisser ainsi sur le flanc, en plan et le nez en l'air.

 

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