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  • Avis sur   le livre de  Philippe Besson,  un homme accidentel

    Son personnage principal est le portrait typique d'un Monsieur-Tout-Le-Monde. Flic à Los Angeles, il mène une vie semblable à tellement d'autres, marié, une femme enceinte, un boulot pas trop encombrant, bref, la routine. Il n'a pas l'étoffe d'un modèle, il n'en a pas le courage, ou peut-être lui manque-t-il seulement la volonté. Le portrait type de l'antihéros qui arrive là par hasard, à qui il ne viendrait pas à l'esprit de remettre en cause l'ordre établi. 

    Et puis, il y a ce meurtre, dans les rues tranquilles de Beverly Hills, des rues aux maisons surprotégées par des caméras de surveillance et des milices privées. Bref, le genre de quartier résidentiel communautariste replié sur lui-même qui ferait fuir n'importe quel voleur. Mais voilà, il y a ce corps, celui de Billy Greenfield, retrouvé mort sur les belles pelouses de Crescent Drive. Un pauvre gars, lui. Prostitué, drogué. Est-ce que la routine de notre flic s'en trouve bouleversée ? Non, pas vraiment. « je n'aurais pas sauvé Billy Greenfield si j'avais croisé sa route plus tôt. Du reste, je n'en ai sauvé aucun ».

    Mais il y a le moment décisif, l'instant où tout bascule. Le carnet de la victime, où apparaît le nom de Jack Bell, enfant-star adulé, tombé dans l'oubli après un scandale, maintenant en comeback. En pleine heure de gloire. Et l'entrevue du flic avec la vedette.

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    Avec ça, l'explosion des sentiments. L'animalité des passions, qui, depuis des années, attendait le moment propice pour apparaître, mais restait terrée dans un coin, sous la pression des conventions, du conformisme. Un regard trop appuyé, un silence trop long, une poignée de main qui s'éternise, et l'esprit est bousculé, rejeté dans ses derniers retranchements.

    « il est des choses qu'on ne décide pas. Des événements qu'on ne voit pas venir. Et quand ils se produisent, ou sont au bord de se produire, il est déjà trop tard. »

    Ce n'est pas l'histoire d'un coming-out. C'est celui d'une passion. Une passion enivrante, mais destructive. Loin du stoïcisme qui avait caractérisé sa vie, à présent débarrassé du mutisme qui censurait ses désirs, notre héros se jette à corps perdu dans ce qu'il avait toujours cherché, finalement. Un instant d'abandon.

    « Notre propre perversité, souvent, on ne la mesure pas, elle nous échappe ». Parce qu'il vit cette histoire comme une délivrance, notre flic de L.A, qui plonge dans l'inconnu, tâte le terrain, fait des erreurs, fait mine d'ignorer les indices qu'il laisse derrière lui. Ainsi, il présente Jack Bell à sa femme, et sa mère même, qui comme si elle l'avait toujours su, laisse faire. L'expérience est salvatrice. Elle libère les frustrations, rétablit une vérité, refoulée.

    Les deux tourtereaux s'en vont, à Monterey, faire une virée, loin de la ville, des lumières. C'est l'abandon, l'un à l'autre, abandon de ses propres croyances aussi. Le bousculement des conventions. Ils font l'amour, se découvrent l'un l'autre.

    Mais une fois le fantasme réalisé, une fois l'expérience vécue, le bonheur de la première fois évaporé, il faut bien retourner à la réalité, cette réalité telle qu'on l'avait conçue, avant. Avant le basculement. Les choses d'après ne sont pas si faciles à accepter.

    Voir l'article sur un artisan

    « la vérité, c'est qu'il ne fallait pas faire beaucoup d'efforts pour comprendre ce qui était en train d'advenir, mais qu'il fallait en faire énormément pour l'admettre ».

    Mais voilà, la machine est lancée, l'éphémère du fantasme était un mensonge. La passion vous ronge les sangs, vous pousse à la folie. Renier ses valeurs, abandonner son foyer, oublier son cocon pour « aller plus loin ». Notre héros s'écorche devant l'absence, s'automutile avec des pensées dévastatrices. L'absence le détruit. Retrouver l'ivresse, voilà ce qu'il veut.

    Et en arrière-plan, le meurtre, toujours irrésolu. L'investigation qui progresse. Au fond, on sait que Jack Bell est lié d'une manière ou d'une autre à ce meurtre. Notre question de lecteur est de savoir comment la passion va survivre à ça ! Va-t-elle se fondre dans l'inacceptable, ou se briser devant l'inavouable ?

    Chez Philippe Besson, la trame, au final, importe peu. Les lieux, les actions, tout n'est que prétexte à mettre en place les personnages. On gratte la surface, pour voir de quoi sont capables les êtres humains en temps de crise, de « basculement ». Ce n'est pas l'histoire d'une enquête policière, c'est l'histoire de deux personnes face à cette enquête. Leurs réactions, leurs tâtonnements, leurs conflits égotiques. Jack Bell, l'enfant-star, à son heure de gloire, mais dont les silences, les hésitations, traduisent un mal-être évident « il prétendait que la gloire soudaine et précoce peut détruire plus facilement qu'un revolver pointé sur une tempe ». Le flic de L.A, avec une enfance dramatique, une tentative échouée de construire sa vie sur une stabilité fantasmagorique, qui se rattache à une existence conventionnelle pour lutter contre des désirs qu'il n'écoute pas, au risque de basculer...

    Un roman sans happy end. Philippe Besson n'en fait pas trop. Il a distillé un instant de vie, l'a plongé dans l'acide sulfurique, et l'observe au microscope. 

    Cette lecture n'a rien d'accidentelle, foncez droit dedans. 

        Philippe Besson,  un homme accidentel   ,  Editions Julliard, 2008     244 pages, 19E