Le revenant, comme dit la voyante du roman de Kossi Efoui, « ne se souvient plus du récit de sa mort », « il croit qu’il est dans la mort. Mais quand il ouvre le livre des morts, sa page est blanche ». Car le narrateur a passé dix ans à Nord Gloria, depuis le jour du Grand Tourment (le début de la guerre civile qui a ravagé son pays) et l’établissement d’une « ligne de démarcation ». La paix rétablie, il décide de la franchir de nouveau et de retrouver les deux amis avec lesquels il avait monté le Théâtre des Pièces à Conviction. Mais il ne reconnaît rien des rues et des lieux de sa ville natale, et en fait de paix, le régime a supplanté l’horreur de la guerre en instaurant une absurde et inquiétante gestion administrative des anciennes milices et des citoyens survivants.
Il traverse des « lieux périmés » que les cartes continuent pourtant d’indiquer, rencontre les anciens « coupeurs de route » reconvertis en « soldats de bonne volonté » sous l’égide des instructeurs belges, est confronté aux images déchirantes des anciennes échoppes chatoyantes réduites à un tabouret bancal posé timidement sur le trottoir. Mais au-delà de la mélancolie et de la douleur profonde qu’impose la visions de ces ruines, que même l’imagination est impuissante à reconstruire, c’est l’impossible remémoration qui trouble le narrateur, vide de tout sens le passé et son retour d’exil. Car s’il ne reconnaît rien, personne ne le reconnaît, les voix se mêlent, à tel point qu’il a oublié la sienne : « la voix qui te parle n’est à personne ».
La seule question qui demeure alors, dans toute cette dévastation est celle que lui pose un passant : « que vas-tu faire de ton retour » ?