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  • Avis sur le livre : Anna K. traduit du catalan par Marie-José Castaing

    Il arrive parfois que ce qu'évoque la combinaison d’un simple prénom et d’un patronyme épouse à la perfection les caractéristiques du personnage ainsi nommé : Anna K. est sans nul doute tout aussi fascinante que sa dénomination et l'ouvrage, qui retrace par le menu l'existence tour à tour mouvementée et paisible de cette création littéraire hors normes, se présente comme une biographie intime et une fresque familiale déjantée, entre domesticité domptée et romanesque débridé.

    Profondément hybride, proche et lointaine, affreusement quelconque et pourtant captivante, Anna K. résiste à toute tentative d’enfermement dans un résumé ; disons que l’intégralité du roman repose sur l'histoire d'une famille marquée par un incontrôlable
    fatum et dont les péripéties tragi-comiques, loufoques et sauvages valent bien celle des mythiques Atrides : relations incestueuses, cellules familiales détruites et recomposées, meurtres inattendus et morts subites vouées à se répéter, confusions générationnelles, mélange des genres, sexualité cocasse et débridée (digne de certains passages de Patty Diphusa, la Vénus des lavabos), vengeances, tendresse et sagesse... Quand trois petites orphelines (l'une d'entre elles, Anna, sera plus tard la mère d’Anna K.) commettent un crime habilement prémédité afin de se débarrasser d’un neveu par trop encombrant, le rouage infernal de la malédiction se met en mouvement et l’histoire peut débuter. Nul besoin de déflorer l’intrigue, ne serait-ce que par égard pour les lecteurs à venir : contentons-nous de les mettre en garde, quel que soit leur sexe, leur genre, leurs penchants sexuels ou leurs préférences littéraires, car ce n'est qu'une fois dans le récit que l'on prend conscience de l'impossibilité d'en sortir.

     

    De la prédestination au libre arbitre, du hasard à la coïncidence, Martí Rosselló joue sur de multiples registres psychologiques, philosophiques et littéraires, dans une langue sobre et directe, où chaque mot semble avoir été pesé, choisi avec un soin perfectionniste. Lui-même, par instants, semble être sous le charme de sa création (ainsi que la plupart des hommes et des femmes qui croisent la route d’Anna K., et qu’elle ne se prive pas d’envoûter), même s’il sait s'en détacher, non sans ironie, pour mieux déconstruire et analyser ses erreurs, son ubris et ses manquements - il reste que le roman est dédié, justement «à Anna K., sans son autorisation», preuve de l'irrésistible attrait qu'exerce le personnage, jusqu'au point d'échapper à son géniteur et de lui faire croire qu’elle dépasse la fiction. Martí Rosselló, dont c'est là le premier roman traduit en français, nous offre un inclassable chef d'oeuvre - mais qui, de l'écrivain ou de sa créature, doit-on réellement remercier ?...

    Anna K. traduit du catalan par Marie-José Castaing,  Tinta blava, 2005